Le point le plus épineux d’une éventuelle transition énergétique vers des énergies renouvelables est sans aucun doute la question du stockage. De nombreux ouvrages de qualité abordent cette problématique complexe en profondeur, c’est pourquoi cette page de contient que quelques détails essentiels à la compréhension du calculateur.

Pourquoi stocker l’électricité ?

Un élément extrêmement contraignant des réseaux électriques est que la production d’électricité doit constamment être égale à la demande. Un mauvais équilibre offre-demande peut conduire à une instabilité de la fréquence électrique (elle n’est plus 50Hz) et à un black-out (mise hors tension) généralisé du réseau ((voir par exemple la panne indienne de 2012)).

Or la consommation d’électricité peut varier très fortement (plus d’un facteur 2) et à plusieurs échelles de temps. Le graphe ci-dessous montre par exemple la variation de la consommation à l’échelle de la journée, moyennée sur les jours de semaines et ou moyennée sur les jours de week-end, ainsi que deux jours particuliers. On peut y voir :

  • La consommation est plus faible la nuit, mais plus intense en fin de journée (fameux pic de 19h)
  • En toute logique, l’activité étant moins importante le week-end, la consommation y est plus faible.
  • Tout aussi logiquement, la consommation est plus faible en été qu’en hiver (chauffage)

Pour illustrer les variations inter-saisonnières de la consommation, voici un second graphe (cliquer sur la légende pour cacher/afficher les autres graphes) :

Les variations de la consommation se font donc à l’échelle de l’année (été/hiver), de la semaine (jour travaillé/week-end), de la journée (soirée/nuit) mais aussi de manière très rapide à l’échelle de la minute.

Les sources de production varient elle aussi, mais de façons diverses. Certaines sont presque constantes, d’autres varient fortement. On peut rapidement établir la classification suivante (voir figure ci-dessous) :

  • Sources peu variables : ce sont celles dont la production ne peut pas être modifiée rapidement, c’est typiquement le cas du nucléaire dont la production est quasi-constante à l’échelle de la journée, mais peut être diminuée à l’échelle de l’année (typiquement en été)((Il semblerait cependant que les centrales nucléaire aient des capacité d’adaptation à l’échelle infra-hebdomadaire non négligeables. Et qu’elles pourraient donc participer à l’effort d’équilibrage. Voir AEN info, OCDE)). C’est aussi les cas des bio-énergies dont l’écart-type est aujourd’hui de 8%.
  • Sources fatales : ce sont les sources dont on ne contrôle pas la production. Elles dépendent de phénomènes météorologiques. Le qualificatif « fatal » signifie que le choix se résume à utiliser cette électricité lorsqu’elle est produite ou à la perdre((Il est également parfois possible de ne pas produire l’électricité (en arrêtant volontairement une éolienne par exemple). Cependant la ressource (vent) est définitivement perdue)). Dans ces énergies se classent le solaire, l’éolien, et l’hydraulique « au fil de l’eau ». Ces sources fatales sont complexes à gérer car leur production peut varier rapidement et de manière parfois difficile à prédire (solaire). Il est parfois dit qu’installer de telles sources à l’échelle de tout le territoire, et de manière complémentaire résout le problème de variabilité en moyennant. Il est exact que cela réduit le problème, mais ça ne l’annule pas. Même à l’échelle de la France entière, la production éolienne peut s’annuler, et l’ensemble éolien + solaire reste très variable ((voir les données de RTE Open Data)).
  • Sources pilotables : ce sont des sources dont on peut ajuster la production à volonté (dans la limite des capacités). Ce sont le cas des sources fossiles, et des barrages hydrauliques.

Comment équilibrer le réseau ?

En France, c’est l’organisme RTE, Réseau et Transports d’Électricité qui est chargé de la délicate mission consistant à garder une production toujours égale à la consommation. Pour ce faire, il prévoit en permanence comment va varier la consommation et anticipe les réponses à y apporter. Voici les grandes lignes de l’équilibrage :

Production pilotable

La première solution consiste à jouer sur les sources pilotables. Lorsque la consommation est faible, ces sources ne sont pas utiles et sont donc éteintes (ou en régime réduit). Lorsque que la consommation augmente, ces sources sont mobilisées.

Par exemple, les centrales nucléaires sont généralement arrêtées pour maintenance pendant l’été, lorsque la consommation est plus faible. Les ajustements plus rapides sont effectués grâce aux sources fossiles :  elles servent d’appoint, lorsque la consommation est forte en hiver. A l’avenir, il est possible que des centrales au biogaz jouent un rôle équivalent.

Stockage

L’utilisation des sources pilotables n’est pas toujours suffisante, en particulier lorsque la part des sources de production fatales (typiquement éolien et solaire) devient importante. Il faut alors recourir à des solutions de stockage de l’énergie((Pour un compte-rendu des recherches actuelles, on pourra se reporter à « Review of energy storage technologies for sustainable power networks« )).

  • Stockage hydraulique : C’est la seule forme de stockage développée à grande échelle aujourd’hui, sous la forme de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Lorsqu’il y a surproduction d’électricité, elle est utilisée pour pomper de l’eau dans un réservoir en hauteur. Cette eau est relâchée et fait tourner une turbine lorsqu’il y a besoin de produire de l’électricité ((voir Connaissance des énergies pour plus de détails)). L’avantage de majeur de cette technique est sont excellent rendement : 85%((voir les chiffres pompage et STEP dans les données eco2mix de RTE)), le désavantage majeur est de requérir un dénivelé important, que l’on ne trouve qu’en haute montagne.
  • Air comprimé : cette technique appelée CAES (compressed air energy system) consiste à comprimer de l’air lorsqu’il y a surproduction d’électricité, et à le relâcher en entraînant une turbine lorsqu’il y a besoin d’en produire.
  • Batteries : nous savons déjà stocker de l’électricité à petite échelle dans les piles, les batteries d’ordinateur et à un peu plus grande échelle dans les batteries de voitures électriques. Une possibilité pour développer le stockage consisterait à mettre en place des batteries de grande capacité, ou un réseau de batteries de taille modérée((voir avec des batteries de récupération)). Plusieurs technologies de batteries existent, et sont le sujet d’une recherche très intense.
  • Conversion en gaz :  le « power to gaz » est l’une des méthode les plus prometteuses. Il s’agit d’utiliser de l’électricité pour produire du di-hydrogène (puis éventuellement du méthane) et d’utiliser ce gaz pour produire de l’électricité en cas de besoin((voir par exemple les explications de la CRE)). L’intérêt majeur est que le gaz est « facilement » stockable et peut donc être utilisé à la demande. Cependant ce procédé est encore au stade expérimental, et son rendement reste inférieur à 50%.
  • Stockage mécanique : Par exemple le stockage à volant d’inertie permet de stocker de l’énergie en mettant une pièce en rotation((Voir l’article de connaissance des énergies)). L’énergie cinétique de rotation est ensuite utilisée pour produire de l’électricité (en freinant la rotation).
  • Stockage thermique : Il s’agit cette fois de stocker de l’énergie en chauffant un fluide. C’est typiquement ce qui se passe pour le solaire à concentration : de nombreux miroirs sont focalisés sur une colonne contenant de l’eau (ou un sel fondu) qui est porté à très haute température. La vapeur produite est utilisée pour entraîner une turbine et produire de l’électricité. En terme de stockage, l’intérêt vient du fait que le fluide (eau ou sel) refroidit lentement, si bien que la production peut continuer plusieurs heures après le coucher du soleil((cf la technology roadmap de l’IEA)). Le stockage thermique pourrait être développé à plus grande échelle ((voir cette thèse sur le stockage massif d »électricité sous forme thermique)).

Échanges

A l’heure actuelle, la France est exportatrice nette d’électricité, c’est-à-dire qu’elle exporte plus qu’elle n’importe, comme le montre le graphe ci-dessous :

Concrètement, la France produit presque toujours trop d’électricité par rapport à ses besoins. Plutôt que de diminuer la production (le nucléaire ne s’ajuste pas rapidement), la France vend le surplus d’électricité à ses voisins. En cas de besoin, et si les pays voisins peuvent avoir des excédents, la France peut importer de l’électricité.

Par exemple, la France vend régulièrement de l’électricité à la Suisse, qui peut en utiliser une partie pour pomper de l’eau dans ses barrages (une forme de stockage). Lorsque la France a besoin d’électricité, la Suisse augmente sa production (si elle n’est pas déjà à son maximum) grâce à l’eau présente dans les barrages et peut la revendre à la France.

Plus généralement, on peut imaginer que des conditions météorologiques défavorables entraînant une baisse des productions éoliennes et solaires n’aient pas lieu de manière unilatérale sur tout le continent européen. C’est pourquoi se développe,  ou se renforce, un super-réseau (super grid) à l’échelle européenne ((voir le dossier de la CRE sur les supergrids)), devant permettre d’accroître la capacité de régulation de la production grâce aux échanges transfrontaliers.

 

Consommation pilotable

Si l’ajustement des sources de production ne suffit pas, une solution consiste à baisser la demande. C’est ce qu’on appelle l’effacement de consommation((Voir par exemple cette brochure de RTE)) .

  • L’effacement de consommation existe déjà pour des sites industriels en France et devrait se développer((La principale contre-partie à ce possible effacement est financière. Il faut donc des tarifs incitatifs))
  • Au niveau des particuliers, des tarifs heures pleines/heures creuses ou jours normaux/jours rouges existent. Récemment des appels ponctuels ont été lancés pour réduire la consommation lors des pics hivernaux ((par Ségolène Royal, ministre de l’environnement à l’hiver 2016-2017))
  • Plus généralement, un travail de longue haleine est lancé sur les réseaux intelligents (smart grids) qui devraient permettre de mieux adapter la consommation en temps réel ((Voir le site dédié au Smart Grids de la Comission de Régulation de l’Énergie)). Cependant, la mise en place des smart-grids passe entre autres par celle de compteurs en temps réel chez les particuliers((or les compteurs Linky rencontrent actuellement une résistance non négligeable)).
  • En particulier, si le parc d’automobiles électriques devient important, il pourrait servir d’ajustement à la production((voir les explications de la CRE)) : en cas de besoin d’électricité, toutes les voitures branchées se déchargeraient (et donc fourniraient de l’électricité au réseau), et se rechargeraient plus tard dans la nuit (lorsque les besoins sont moins importants).
  • Un autre élément très prometteur consiste à développer d’autres usages au di-hydrogène (ou au méthane) produit par la méthode « power to gas ». Parmi ces usages on compte la voiture à hydrogène, la voiture au gaz, ou l’utilisation du méthane dans les réseau de gaz actuels (chauffage, cuisine,…).
    Pour en comprendre l’intérêt, prenons un exemple simplifié où la consommation d’électricité serait de 1TWh/jour et la consommation de gaz de 1TWh/jour, fournies entièrement par une source fatale (éolien). Les jours de forte production (supérieure à 2TWh), le système fournit les 1TWh nécessaires à la production d’électricité, convertit les 3TWh restant en gaz. 1TWh est utilisé et le reste est stocké.
    Un jour de production faible (entre 1 TWh et 2 TWh), le système fournit les 1TWh nécessaires à la production d’électricité et puise dans ses stocks pour fournir 1TWh de gaz.
    Enfin, lorsque la production est très faible (inférieure à 1TWh), le système puise dans son stock de gaz pour fournir les 1TWh de gaz, mais aussi l’électricité.

Combien de stockage est nécessaire ?

Calculer la quantité de stockage nécessaire pour une consommation et un mix de production donnés est complexe. La bonne méthode consiste à utiliser un modèle stochastique modélisant heure par heure quelle sera la consommation et la production de chaque source d’énergie en fonction de leurs distributions de probabilité. Pour chaque heure, si l’addition des sources de productions utilisables est inférieure à la consommation, c’est qu’il faut importer ou déstocker de l’énergie (et donc l’avoir stockée au préalable).

Une seconde méthode plus simple consiste à prendre les données heure par heure d’une année existante (typiquement les données RTE de 2015) et à modifier la valeur moyenne de production de chaque source en réalisant un produit en croix (la nouvelle valeur moyenne correspond à la part de la production de cette source dans le mix à simuler, mais la variabilité reste identique).

Le calculateur Électricité-2050 vise le grand public, et se veut consultable y compris sur smartphone. Il a donc été décidé d’utiliser une méthode très approximative, mais plus simple. Les données 2015 heure par heure fournies par RTE ont été analysées pour chaque source non-pilotable. Nous avons calculé pour chaque heure l’écart positif (lorsqu’il l’est) de la production par rapport à sa moyenne, noté C. Le résultat est donné ci-contre :

Le besoin de stockage est calculé comme ceci :

  • Pour chaque source non pilotable il vaut sa production annuelle fois le facteur C.
  • Les valeurs du solaire et de l’éolien sont ajoutées quadratiquement pour rendre compte d’un effet de complémentarité (l’ensemble éolien+solaire est potentiellement moins variable que les deux séparés)
  • Les valeurs obtenues sont additionnées.
  • Un large part (70%) des sources pilotables peut alors être retranchée
  • Une partie de la nouvelle consommation dans les transports (30%) est également retranchée (pour prendre en compte l’effet de véhicules électriques ou à hydrogène dont la consommation serait pilotable)
  • Enfin, le stockage nécessaire est séparé entre le stockage existant (5.8 TWh de STEP) et le stockage à créer

Le résultat est évidemment très approximatif, il ne prend pas en compte l’utilisation de smartgrids ni de supergrids, ne considère pas de nouvelles sources pilotables (biogaz), et ne s’intéresse pas aux événements extrémaux (consommation exceptionnelle). L’estimation obtenue est donc grossière, mais rend compte de la phénoménologie (stockage plus important pour des sources fatales). A titre indicatif, nous obtenons des besoins de stockage 80 TWh dans le scénario Ademe 2050, tandis que l’Ademe indique des besoins de 45 TWh et 14 TWh de surplus non valorisés.

Quelles sont les pertes ?

Aucun dispositif de stockage n’est parfait, c’est-à-dire que l’on ne peut jamais récupérer 100% de l’énergie que l’on a stocké. D’une technologie, l’efficacité d’un cycle stockage/déstockage varie :

L’efficacité constatée sur les données de RTE pour le stockage hydraulique existant est de 85%. Le modèle considère que l’efficacité du nouveau stockage est en moyenne de 70%. Par conséquent les pertes liées au stockage sont égales au total du nouveau stockage divisé par 0.7 plus le stockage hydraulique divisé par 0.85.

Par ailleurs, tout réseau de distribution d’électricité connaît des pertes. RTE indique des pertes de 2.5% sur le réseau haute tension((Pertes sur le réseau public de transport – RTE)) tandis que ERDF indique des pertes de 6% ((La compensation des pertes à ERDF)). En tout état de cause, entre les chiffres de consommation brutes avancé par RTE et les chiffres de consommation nettes des pertes du réseau fournis par le gouvernement, on constate un écart de 8% ((voir les Chiffres clés de l’énergie 2016 – Ministère du développement durable, est les données de RTE Open Data))). Par conséquent, le calculateur prend en compte des pertes de 8% sur l’énergie produite.

Autres paramètres

Le coût de l’électricité produite à partir de stockage, les besoins d’investissement, le nombre d’emplois générés ainsi que les rejets de CO2 par kWh vont fortement dépendre de la technologie utilisée. Les valeurs suivantes sont utilisées dans le calculateur :

  • Coût supplémentaire : 0.05 €/kWh
  • Investissement : 1000 €/kWh
  • CO2 : 50 g/kWh
  • Emplois 200 TWh